La médecine nazie au coeur de l’enfer alsacien

Par Philippe Degouy

Ils sont six. Six auteurs franco-allemands. Tous ont travaillé de concert pour exposer la collusion qui a existé durant le dernier conflit mondial entre l’université de Strasbourg, devenue Reichsuniversität après l’annexion allemande et le camp de concentration KL Natzweiler-Struthof ouvert en mai 1941 en Alsace annexée. Leur travail est publié dans La Médecine nazie contre l’humanité (éd. Tallandier). Un violent réquisitoire abondamment illustré de documents d’époque contre la violation de toutes les règles éthiques par des médecins pour mener des expériences médicales sur des détenus extraits de camps de concentration, dont celui de Natzweiler-Struthof. Ouvert le 1er mai 1941, il servait à l’origine à fournir la main-d’oeuvre pour exploiter une carrière de granit rose. Si les détenus ont d’abord bénéficié de soins médicaux à l’université de Strasbourg, le KL Natzweiler est devenu presque naturellement un « espace dérégulé pour devenir une station expérimentale ». Avec des expériences médicales menées sur le gaz phosgène ou l’ypérite et mener à ce que les auteurs qualifient de « zone noire de l’espèce humaine. Celle qui tue au lieu de soigner. »
Un camp de concentration alsacien pourvu lui aussi de sa chambre à gaz, plutôt particulière avec sa forme de petite fermette. Unique aussi puisqu’elle n’a pas servi pour la mise à mort de masse comme les autres. Mais plutôt destinée à servir d’outil de recherche biomédicale, même si elle sera aussi utilisée pour éliminer certains sujets, comme les 86 Juifs sélectionnés par le docteur Hirt pour enrichir son exposition anthropologique.

Force est de constater que cette lecture glace le sang par l’inhumanité dont ont fait preuve des médecins censés respecter le serment d’Hippocrate, texte fondateur de la déontologie médicale.
Et parmi eux figuraient notamment August Hirt, Otto Bickenbach et Eugen Haagen. Si le premier a échappé à la justice par son suicide en juin 1945, les deux autres ont été jugés lors des procès pour crimes de guerre médicaux. Mais graciés en 1955, ils ont pu poursuivre leurs activités médicales en Allemagne.
Lors de la libération de la ville de Strasbourg le 23 novembre 1944, les Alliés découvrent dans les caves de l’université les restes des 86 Juifs et Juives gazés au camp de Natzweiler sur l’ordre du médecin Hirt.
Comme le précisent les auteurs dans la conclusion de leur ouvrage, « il a fallu presque 60 ans avant de retrouver l’identité des 86 Juifs et Juives exécutés » pour compléter la collection de crânes judéo-bochéviques du sinistre professeur Hirt.  »
Ils s’appelaient Jeannette Passmann, Menachem Taffel, Sylvester Lampert ou Adalbert Eckstein. Mais de nombreux noms de victimes d’expérimentations médicales au KL Natzweiler restent incertains.

Aujourd’hui encore, les stigmates de ce passé détestable restent bien présents en Alsace avec ce camp de Natzweiler qui se visite pour une plongée mémorielle au coeur de l’enfer nazi : https://www.struthof.fr/le-site/le-kl-natzweiler Sur les quelque 50.000 détenus originaires de toute l’Europe enregistrés au KL Natzweiler entre 1941 et 1945, environ 17.000 n’ont pas survécu à l’enfer d’Alsace. Ce que rappelle cet ouvrage, dur et difficile mais important.

La médecine nazie contre l’humanité. Expérimentations médicales au camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Par Christian Bonah, Sandrine Gaume, Hans-Joachim Lang, Loïc Lutz, Gabriele Moser, Florian Schmaltz. Editions tallandier, 98 pages. 13,90 euros https://www.tallandier.com/livre/la-medecine-nazie-contre-lhumanite/
Couverture : éditions Tallandier

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