Du bleu dans l’âme au Delta Blues Café

Par Philippe Degouy

Cinéaste noir antillais, Laup Grangé a présenté au public américain son film dédié à Robert Johnson, Du bleu dans l’âme. Un film acclamé par le public mais boudé par le professeur Gordon Kyle Moore, spécialiste reconnu de l’histoire du blues. Pour comprendre cette attitude, Laup décide de rencontrer le professeur, un vieux bougon cynique toujours accompagné par son amie Jezie, vieille femme noire propriétaire du Delta Blues Café, refuge de tous les bluesmen du coin. Jezie raconte à Laup toute l’importance de son bar pour le professeur. Là où il a rencontré son amour de jeunesse Tunica Grace. Quand elle a disparu sans prévenir, le jeune prof qu’il était ne s’en est pas remis. Avec le souvenir de cette chanson inachevée, My Lover, composée pour lui. Depuis, le professeur n’a plus qu’une obsession, dénicher une copie de cette chanson. Touché, Laup va échafauder un plan aussi risqué qu’improbable pour aider cet homme au crépuscule de sa vie.

Avec Delta Blues Café (éd. Grand Angle), Philippe Charlot au scénario et Miras au dessin évoquent leur passion, la nôtre aussi, pour le blues. Contrairement à bien d’autres BD dédiées au blues, Delta Blues Café est réalisé en couleurs. Comme un hommage rendu à ces musiciens qui ont vécu dans la couleur, « celle de leurs paysages, du bleu de leur ciel, du noir de leur peau. »
Au fil des échanges entre le professeur Moore dont la mémoire s’efface peu à peu et le jeune cinéaste Laup Grangé le lecteur s’immerge au coeur de cette région des Etats-Unis, berceau du blues et de ses autres sous-genres. Une lecture coup de coeur, indispensable pour les amateurs de blues, des Etats-Unis et de road trips. L’ambiance magique de cette région est parfaitement rendue par les auteurs, avec un dessin réaliste, joyeux comme les paysages du Sud des Etats-Unis. En guise de bonus, ils invitent leurs lecteurs à (re)découvrir certains personnages réels « qui méritent mieux qu’une simple mention au détour d’une bulle. » Avec, bien entendu, le mystérieux Robert Johnson dont on sait peu de choses de lui finalement, mis à part ses tubes et ce fameux pacte qu’il aurait signé avec le diable, son âme contre le talent. Un pacte signé, selon la légende, au carrefour entre les routes 61 et 49 à Clarksdale, Mississippi. Un musicien devenu l’idole des guitar heroes d’aujourd’hui, d’Eric Clapton à Keith Richards.
Robert Johnson, Hound Dog Taylor, Blind Blake, autant de musiciens afro-américains auxquels les auteurs rendent hommage : « à quelques-uns ils ont planté dans le delta du Mississippi ce mélange improbable qu’est le blues : un trait d’union entre l’Afrique et l’Occident.« 

Delta Blues Café. Scénario de Philippe Charlot. Dessin de Miras. Editions Grand Angle, 72 pages. 16,90 https://www.angle.fr/bd/grand_angle/delta_blues_cafe/delta_blues_cafe_-_histoire_complete/9782818997673
Couverture : éditions Grand Angle

Ayrton Senna, simply Magic!

Par Philippe Degouy

Grand Prix de Monaco, 1984. De fortes averses ruinent les espoirs de victoire de nombreux pilotes chevronnés. En tête Alain Prost maîtrise sa course. Après une remontée fantastique, le jeune Brésilien Ayrton Senna se retrouve dans les roues du Français. Le mauvais temps, Senna l’a apprivoisé quand il était pilote de kart. Un avantage certain. Quand la course est finalement stoppée, Prost remporte la victoire, au grand désarroi du Brésilien qui pensait pouvoir obtenir sa première victoire. Mais ce Grand Prix restera pour Senna celui de la révélation. Le début d’une carrière fulgurante pour celui qui a gagné le surnom de « Magic » Senna.
« Il était aussi doux et raffiné en dehors de la voiture qu’il pouvait être agressif au volant » disait de lui Frank Williams. Des propos confirmés par Lionel Froissart au scénario et méticuleusement dessinés par le duo Christian Papazoglakis et Robert Paquet. L’ambiance des courses est parfaitement rendue par une mise en page dynamique. Et les nostalgiques peuvent retrouver des bolides devenus mythiques comme la fameuse Lotus aux couleurs de la marque JPS, noir et or. Une pure merveille pour les yeux.

Bonne idée des éditions Glénat de republier dans une nouvelle édition le biopic consacré à Ayrton Senna, Histoires d’un mythe . Un bel hommage rendu au triple champion du monde brésilien disparu il y a 30 ans déjà, le 1er mai 1994 à Imola. Disparu? Pas vraiment non. Comme le rappellent fort justement les auteurs : « des milliers d’enfants s’inspirent toujours de la détermination et de la foi que Senna mettait à devenir le meilleur pilote du monde. » De la carrière d’une dizaine d’année du Brésilien il reste ce beau palmarès, avec 41 victoires, 65 pole positions et trois titres de champion du monde.
Cette mort accidentelle survenue en mai 1994 a également privé les fans de F1 de probables duels d’anthologie entre Magic Senna et son concurrent en course ce jour-là à Imola, le Kaiser Michael Schumacher. Un pilote allemand fortement éprouvé par la mort de celui pour qui il éprouvait tant de respect et d’admiration.

L’ album est suivi d’un bonus, l’histoire d’une rencontre d’une vie. Celle vécue par le journaliste automobile Lionel Froissart avec le champion, croisé dès ses débuts. Une relation complice racontée et illustrée en huit pages de souvenirs. Pour dresser un portrait plus intime, plus humain. Celui de l’homme qui se cachait derrière son rôle de pilote. « Ayrton Senna était une éponge qui absorbait toutes les informations que lui apportait chaque séance d’essais. Sur le plan personnel, c’était un cérébral qui s’interrogeait sur une multitude de problématiques. Il doutait toujours. Il était rarement serein » explique Lionel Froissart.
Un récit de souvenirs dans lequel le duel Prost-Senna occupe une place à part de par son importance dans la carrière du Brésilien. Quand Prost a pris sa retraite, Senna s’en est trouvé bien désorienté, triste d’avoir perdu son meilleur rival.
« Trente ans après sa disparition, il est toujours là. Il ne se passe pas une course de F1 sans que, d’une façon ou d’une autre, il y ait un rappel au pilote brésilien » conclut Lionel Froissart. Se souvenir d’Ayrton Senna restera « Magic ».

Ayrton Senna. Histoires d’un mythe. Scénario de Lionel Froissart. Dessin de Christian Papazoglakis et Robert Paquet. Editions Glénat, 56 pages, 14,50 euros https://www.glenat.com/plein-gaz/ayrton-senna-bd-ne-9782344064214
Couverture : éditions Glénat

Ann Bonny, femme et pirate

Par Philippe Degouy

Janvier 1718, Nassau sur l’île de New Providence. La jeune Ann Cormack débarque dans cette ville bien dangereuse pour une jeune fille seule, comme lui explique La Cabella, puissante patronne du bordel local. Intelligente, Ann détecte dans cet avertissement le risque de finir comme fille de joie sous la protection de La Cabella, loin d’être insensible au charme féminin. Mais Ann a un autre rêve, celui de gagner son indépendance sur l’autorité paternelle qu’elle tente de fuir. Sa liberté, elle veut la prendre en mer, sur un navire pirate. La rencontre avec James Bonny lui fournit l’occasion de vivre son rêve au prix d’un mariage sans amour et de viols collectifs par l’équipage de Bonny. Acceptée à bord à contre-coeur par les pirates, Ann Bonny découvre un univers de violence où l’on profite du temps présent comme si le jour était le dernier. Violence, soumission sexuelle, Ann accepte tout pour être sur la mer, son refuge. « C’est au large qu’elle se sent bien. A se régaler des courants, à fondre sur sa proie tel un barracuda. »

Avec Ann Bonny, La louve des Caraïbes (éd. Glénat) Franck Bonnet débute un diptyque consacrée à une figure mythique de la piraterie. Une jeune bourgeoise en froid avec son milieu et amoureuse de cette liberté rencontrée par les pirates. Drôle de femme que cette Ann Cormack devenue par son mariage avec le pirate James Bonny, Ann Bonny surnommée la louve des Caraïbes pour son courage et sa fougue. Mais comme le précise l’auteur dans son introduction, a-t-elle vraiment existé cette redoutable petite Irlandaise? Son histoire nous est connue par le récit du capitaine Charles Johnson alias Daniel Defoe. « Et si, comme se demande Franck Bonnet, Ann Bonny n’était qu’une créature de fiction germée dans l’esprit de Daniel Defoe, souvent considéré comme un faussaire, un conteur? » Peut-être, mais qu’importe, le lecteur ne peut que prendre plaisir à suivre cette femme rebelle, moderne dans son attitude, prête à tout pour se libérer du joug des traditions familiales pour vivre son amour de la mer et de la piraterie. « Qu’elle soit réelle ou imaginaire, j’ai choisi de mon côté de la faire exister en bande dessinée » souligne l’auteur. Si son destin est romancé, tout ce qui l’entoure se veut fidèle à cette réalité vécue par les pirates en ce début du 18e siècle, avec des planches d’un réalisme extrême quant aux navires et repaires de pirates. Un souci du détail omniprésent.
Ce premier livre se dévore d’une traite, par l’absence de temps morts, qui permet de retrouver d’autres figures plus connues de la piraterie. Comme John Rackham alias Calico Jack, connu pour avoir imaginé le fameux drapeau noir à tête de mort, le Jolly Roger. A lui aussi la présence de femmes à bord. Dont fera partie Ann Bonny, sa maîtresse et compagne d’abordage. Mais ceci est une autre histoire, à conter dans le livre 2.

La piraterie, la mer. Un univers familier pour l’auteur, que l’on pense notamment à ses séries USS Constitution et Pirates de Barataria. En quelque 70 pages, l’auteur réussit à immerger le lecteur dans un univers bien différent de la vision romantique de la piraterie diffusée par Hollywood. Comme peut le constater Ann Bonny, avec des pirates peu fidèles à la parole donnée et qui n’ont qu’une vision de la femme, une source de plaisir à chaque retour à terre. Ann Bonny, une jeune femme culottée, mais qui l’est beaucoup moins dans le récit de Franck Bonnet, souvent mise à nu. Au propre comme au figuré. Peu farouche, son corps lui sert à la fois d’arme de séduction et de bouclier face aux autres pirates qui voient d’un mauvais oeil une femme à bord. L’auteur prend plaisir à la déshabiller et le lecteur à admirer sa plastique dévoilée sous toutes les coutures. Ann Bonny prenait-elle vraiment la mer dépoitraillée à la proue de son navire? Peut-être pas, mais qu’importe. Elle reste ce personnage attachant que l’on attend de retrouver dans le livre 2.

Ann Bonny. La louve des Caraïbes Livre 1. Par Franck Bonnet. Editions Glénat, 72 pages, 17 euros https://www.glenat.com/24×32-glenat-bd/ann-bonny-la-louve-des-caraibes-tome-01-9782344053553
Couverture : éditions Glénat

Johnny? « Il est terrible! »

Par Philippe Degouy

Pour son cinquantième numéro, une fois n’est pas coutume, le mook Schnock consacre l’entièreté de son numéro à son invité. Juste retour des choses pour le taulier du rock français, Johnny Hallyday. Des objets du culte (comme ce santon de Noël) aux gaffes (in)volontaires, rien n’est occulté par les auteurs qui ne peuvent cacher leur admiration et le respect pour une légende. Capable du pire comme du meilleur à l’encontre de ses petits copains de chant, comme cette vacherie adressée à Claude François : « t’enlèves les Claudettes, qu’est-ce qu’il reste? »
Page après page se construit le portrait d’une star simplement humaine. Comme en témoigne Nathalie Baye pour qui Johnny était « un pépère tranquille. C’était quelqu’un d’une normalité incroyable. Johnny aurait aimé être acteur, chanteur ce n’est pas ce qu’il voulait faire. » Un portrait détaillé par l’oeil des potes, Long Chris, Pierre Billon ou Jean-Jacques Debout. Des témoignages mais aussi des making of de tubes, le top 20 de Johnny Hallyday, ses films, bons ou mauvais. Il faut s’enfoncer dans les témoignages, chargés en anecdotes inédites.
Un numéro de strass et de stress, avec l’histoire de la relation délétère entre Johnny et Léon Smet, ce père invisible.
On croyait tout savoir de Johnny mais les auteurs nous prouvent que non. Avec une quantité de détails personnels souvent méconnus, comme cette passion et cette érudition quant à l’effigie du général de Gaulle.
Oui, Renaud avait bien raison quand il déclarait à son propos que « si j’avais su que je l’aimais tant, je l’aurais aimé davantage. » L’épitaphe idéale.

« Je n’ai besoin de personne, jamais je ne serai vieux. » (Johnny Hallyday) Comme le souligne Schnock, « Jean-Philippe Smet est mort, mais Johnny est éternel. »

Schnock n°50. Johnny Hallyday. « Jamais je ne serai vieux ». La Tengo Editions, 176 pages, 17,5 euros
Couverture : La Tengo Editions

La vengeance du mineur de fond

Par Philippe Degouy

Newcastle, Wyoming. 1894. Une petite ville comme on en trouve des milliers dans l’Amérique profonde. Une mine de charbon occupe de nombreux immigrés venus d’Europe de l’Est pour vivre le rêve américain. Quand un ouvrier est retrouvé massacré , Horace Frick, patron de la mine, charge Jim Teasle, le shérif de la ville; de trouver un coupable, quitte à en fabriquer un, pour calmer la tension au sein des mineurs. Un premier meurtre suivi de plusieurs autres. Tous des mineurs. Quand les mineurs décident de se créer un syndicat, la décision risque de mettre à mal l’autorité de Fricks. Avec l’arrestation des meneurs et la torture exercée sur l’un d’entre eux, le shérif et Horace Fricks déclenchent une réaction en chaîne aux conséquences funestes pour la tranquillité de la petite ville.

Avec Colt & Coal (éd. Glénat), le scénariste Vincent Brugeas et Mr Fab au dessin bousculent les codes du western classique. Un lieu commun, sans doute, mais qui définit au mieux ce récit qui s’écarte des grandes thématiques du genre pour virer au thriller social avec la lutte des classes et le sort des migrants soumis « au piège » du capitalisme. Autant le préciser, l’album risque de susciter une impression mitigée au sein des amateurs du genre western plus conventionnel. Pas de héros, pas de chevauchées dans les grandes plaines. Non, plutôt un récit intimiste pour explorer les coulisses de la conquête de l’Ouest, avec ces immigrés venus d’Europe pour goûter au charme de la terre promise et qui ont fini pour beaucoup au fond des mines pour survivre. Entre Horace Frick, patron de la mine de charbon et ses ouvriers se développe une tension qui n’est pas sans rappeler le fameux roman Germinal de Zola. Une pointe de racisme en sus, celui exercé à l’encontre de la communauté tchèque, simple réserve d’ouvriers dont le sort importe moins que la production de charbon retirée de la mine. Une lutte des classes vécue au fin fond de l’Ouest qui ne manquera pas de mal finir, avec le plomb pour remplacer le charbon. Mais n’en disons pas plus pour ne pas ruiner la fin apocalyptique concoctée par les auteurs pour clore cet album one-shot que l’on peut aisément ranger dans le sous-genre du western crépusculaire.
Avec une intrigue crédible, soit, mais peu susceptible de créer de la tension auprès du lecteur. Coté graphisme, Mr Fab, alias Fabien Esnard-Lascombe, livre des planches au réalisme proche du documentaire. Un dessin très old-school qui n’est pas pour déplaire, avec un shérif aux traits étrangement proches de ceux du général Custer, et plus familier de l’usage de la force que de l’approche des jolies femmes, dont la mystérieuse Dorothée, l’institutrice de la ville qui ne semble pas insensible à ses approches. Une femme mystérieuse.
Colt & Coal? Un western inhabituel, surprenant quant à son déroulement. Libre à vous d’y adhérer, ou pas. Mais si vous ne voulez pas connaître la fin avant de commencer la lecture, ne lisez pas la quatrième de couverture, qui dévoile, horreur et consternation, le criminel auteur du meurtre des mineurs.

Colt & Coal. Scénario de Vincent Brugeas, dessin de Mr Fab. Editions Glénat, 72 pages, 15,95 euros https://www.glenat.com/hors-collection-glenat-bd/colt-coal-9782344059630
Couverture : éditions Glénat

Alerte nucléaire sur Almeria

Par Philippe Degouy

Janvier 1963. Profitant de quelques jours de vacances, le journaliste Guy Lefranc se rend à Almeria pour enquêter sur les conditions mystérieuses de la mort de son oncle Antoine, combattant des Brigades Internationales entre 1937 et 1938. Sur place, Lefranc contacte une certaine Inès de la Cerna, une anarchiste qui a intimement connu son oncle. Cette femme n’a rien oublié et livre des secrets au journaliste. Pendant ce temps, haut dans le ciel, un bombardier américain B-52 armé de bombes atomiques s’apprête à se ravitailler à un KC-135 avant de retourner aux Etats-Unis, mission de veille terminée. Quelques instants avant le drame …
Inutile d’en raconter davantage pour ne pas déflorer une intrigue complexe imaginée par les auteurs, Régric et Roger Seiter.

Avec Bombes H sur Almeria (éd. Casterman) Régric au dessin et Roger Seiter au scénario relatent un événement historique majeur mais que beaucoup de touristes venus profiter de l’Espagne ignorent probablement. La collision en vol de deux appareils américains, un B-52G et un KC-135 Stratotanker le 17 janvier 1966 à proximité de Palomares (province d’Almeria). Avec la chute de bombes nucléaires au sol et en mer. Un drame survenu en pleine Guerre Froide, lié à l’opération Chrome Dome décidée par les Américains. Des bombardiers équipés de bombes nucléaires en vol permanent pour assurer la défense des Etats-Unis face à la menace soviétique.
Un événement présent au coeur d’un film émouvant, avec Bourvil et William Holden, L’arbre de Noël, fermons la parenthèse.
Cet événement historique a marqué les années 60 et se voit raconté par les auteurs, mais avec une erreur de datation, puisque l’intrigue de cet excellent épisode se déroule trois ans avant la catastrophe.
L’intrigue de ce 35e tome de la série Guy Lefranc est parfaitement agencée avec une tension qui monte en crescendo, avec l’accident aérien mais aussi des rebondissements dans l’enquête que mène Lefranc sur la mort de son oncle Antoine en Andalousie. L’occasion pour Roger Seiter de revenir sur les horreurs de la guerre civile espagnole et les séquelles de l’Espagne franquiste, avec des vengeances subies dans les deux camps en présence. Un album centré autour de la quête de la vérité et qui se lit sans temps morts. L’album contient de nombreuses références historiques ou littéraires, comme la présence d’Ernest Hemingway en guest-star. Un scénario dense qui bénéficie du dessin précis de Régric, fidèle à la ligne claire du maître Jacques Martin.
L’album débute par un hommage rendu par les auteurs au journaliste suisse Arnaud Bédat, alias Jules Meyer dans l’épisode Le scandale Arès. Un ami décédé en juillet 2023.

Bombes H sur Almeria. Dessin de Régric. Scénario de Roger Seiter/Jacques Marrtin. Editions Casterman, 48 pages, 12,50 euros https://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/bombes-h-sur-almeria/9782203241541
Couverture : éditions Casterman

Le regard critique du marabout

Par Philippe Degouy

Soudan du Sud, pays soumis à la guerre civile depuis 2013. La jeune Nialony, 6 ans, retrouve son frère Georges et ses parents parqués dans le camp de réfugiés de Bentiu. Une vaste prison à ciel ouvert pour des milliers de civils protégés par les Nations Unies contre les massacres et les enlèvements commis par les fractions rivales qui martyrisent le pays. Pour Nialony, la découverte de ce monde clos constitue un choc. Avec cette violence, les vols, la promiscuité entre réfugiés. La jeune fille ne peut compter que sur son frère Georges, réfugié dans la peinture pour s’évader, et un étrange marabout à qui la gamine confie ses peurs. Un oiseau présent dans les abords du camp pour se repaître des déchets et des cadavres.
Pour les deux adolescents cette vie en vase clos va prendre une autre tournure quand des miliciens vont venir les kidnapper de nuit pour en faire des enfants soldats…
Avec L’oeil du Marabout, roman graphique publié aux éditions Daniel Maghen, Jean-Denis Pendanx plonge ses lecteurs au coeur d’un univers où la beauté de l’Afrique, magnifiquement représentée, se dilue dans les horreurs de la guerre. Avec ses massacres, ses populations déportées et parquées dans des camps rudimentaires dans lesquels les humanitaires font ce qu’ils peuvent avec les moyens mis à leur disposition. Un univers que Jean-Denis Pendanx a fréquenté durant un séjour effectué au Soudan pour animer des cours de dessin avec les réfugiés. Un regard artistique et journalistique traduit par ce cahier graphique commenté et illustré en fin d’album. Un hommage émouvant rendu à ces milliers d’enfants plongés dans un univers qui ne devrait pas être leur quotidien. Comme le souligne L’Unicef sur son site, « entre 2005 et 2002, les Nations Unies ont constaté et vérifié quelque 315 000 violations graves commises à l’encontre d’enfants en zones de conflits.  » De jeunes victimes incarnées par Georges et Nialony, deux enfants bien réels et intégrés par l’auteur dans son album, plus proche du reportage que de la BD.
Un cessez-le-feu perdure au Soudan du Sud et «  j’ai bon espoir que Nialony et Georges voient la fin de cette guerre et vivent dans un pays en paix. » Ce message positif de l’auteur conclut cette lecture teintée d’humanisme où quelques belles âmes surgissent pour adoucir le drame.
Et si le sort des enfants constitue le coeur du récit, l’auteur n’en oublie pas de saluer le travail des humanitaires, ces héros anonymes mis en danger au même titre que les réfugiés.
Une lecture coup de coeur pour cet album dont les ventes aideront l’Unicef.

L’oeil du marabout. Scénario et dessin de Jean-Denis Pendanx. Editions Daniel Maghen, 160 mages, 26 euros.
https://www.danielmaghen-editions.com/catalogue/loeil-du-marabout/
Couverture : éditions Daniel Maghen.
Pour l’achat de cet album 0,80 euro sera reversé à l’Unicef France.

Whisky San, ou l’histoire du whisky made in Japan

Par Philippe Degouy

Les auteurs de bandes dessinées arrivent toujours à nous surprendre. Comme ce trio à l’origine de Whisky San (éd. Grand Angle). Un one-shot (de whisky) réalisé par Fabien Rodhain et Didier Alcante au scénario et Alicia Grande au dessin. Une BD qui nous invite à découvrir l’histoire du premier whisky japonais créé au pays du saké élevé au rang de trésor national.
Lancer le premier un whisky local, tel est le défi imaginé et relevé par un jeune Japonais, Masataka Taketsuru, nourri aux récits des premières rencontres du début du XXe siècle entre les Japonais et les Américains. Comme un rêve d’enfant à réaliser, le jeune Masataka n’a plus que cette idée fixe en tête. Quitte à se fâcher avec son père, producteur de saké et qui souhaitait lui léguer un jour son entreprise. Le jeune homme quitte tout, pays, famille et amis, pour partir étudier en Ecosse et apprendre les secrets de fabrication de ce fameux breuvage. De ce voyage en Europe, il ramènera connaissances et une femme, la jolie Rita. Une femme occidentale, un affront de plus pour ses pairs. Mais Masataka poursuit son but, soutenu par sa femme. Et réussit. Aujourd’hui, Masataka n’est plus, mais son whisky est connu, reconnu, primé.

Une belle aventure qui a donné lieu à une série TV à succès au Japon, Massan.
Ce roman graphique d’une bonne centaine de pages se savoure pour son dessin réaliste. Une immersion au coeur de ce Japon si peu connu en Occident hors des clichés traditionnels. Une intrigue positive articulée autour d’un rêve réalisé en dépit de tous les obstacles placés sur la route de la réussite de Masataka. Comme le précise le scénariste Fabien Rodhain, « cette histoire m’est apparue comme une métaphore d’une certaine mentalité japonaise : s’intéresser puis imiter, avant d’améliorer et, enfin d’exceller. »
Du whisky japonais présent dans le film Lost in Translation avec Bill Murray. Plus qu’une BD, Whisky San est aussi une plongée au coeur de l’histoire du whisky, avec de nombreuses anecdotes historiques ou techniques. Et dans cette bande dessinée où l’Ecosse occupe une place majeure, comment s’étonner de retrouver Sean Connery en costume traditionnel en pleine découverte des versions japonaises de son whisky. Juste hommage rendu à la réussite de Masataka acquise de haute lutte face à ses concurrents et à la méfiance des brasseurs japonais. Un entrepreneur qui avait bien compris la recette écossaise d’un bon whisky : il faut de l’eau, du feu et du temps. Cheers! Kampai!

Whisky San. Scénario de Fabien Rodhain et Didier Alcante. Dessin d’Alicia Grande. Editions Grand Angle, 136 pages, 24,90 euros https://www.angle.fr/bd/grand_angle/whisky_san/whisky_san_-_histoire_complete/9782818988671
Couverture : éditions Grand Angle.

Judith et le tableau

Par Philippe Degouy

San Francisco, 17 avril 1906. La jeune Judith prend son service au Palace Hotel de San Francisco pour débuter une nuit de travail comme une autre. Sauf que le destin en a décidé autrement. Dans la chambre du célèbre Enrico Caruso où elle doit déposer une boîte de cigares envoyée pour lui, Judith découvre un tableau emballé dans le lit défait. Elle n’a pas le temps de réfléchir que deux mafieux italiens s’en prennent à elle, témoin imprévu de leur visite pour prendre le tableau destiné à une personnalité importante. Pour déclencher une guerre des gangs et détourner les soupçons, les Italiens veulent éliminer Judith dans le quartier chinois de la ville. Mais rien ne se passe comme prévu pour les Italiens, défaits par les Chinois. Judith est libre et souhaite ramener le tableau, un portrait de femme de Gustav Klimt, à Caruso pour retrouver sa vie et échapper aux Italiens. Mais une fois encore le destin va intervenir. Et de la plus terrible des manières : avec un séisme d’une ampleur inégalée. Le 18 avril au matin, la ville est dévastée, plongée dans le chaos. Judith retranchée au Palace ignore que les Italiens sont toujours à sa trace et qu’une mystérieuse femme attend son tableau, peu importe le prix humain à payer…

Avec San Francisco 1906, Les trois Judith (éd. Grand Angle) Damien Marie au scénario et le dessinateur Fabrice Meddour débutent une intrigue criminelle où se mélangent événement historique, le séisme à San Francisco, et énigme artistique autour d’une oeuvre contestée de Gustav Klimt. Une construction de la bande dessinée en forme de poupées russes dans lesquelles la petite histoire se glisse dans la grande. Si celle de Judith la petite femme de chambre se révèle fictive, toute l’originalité de l’album repose dans les interactions entre cette jeune et jolie fille et des personnages véridiques, comme Enrico Caruso et le général Funston, commandant en chef de la garnison de San Francisco. Ces destins croisés permettent des rebondissements bien troussés par les auteurs de cette intrigue à suivre dans le prochain volume.
Un récit complété par un dossier historique articulé autour du séisme de San Francisco mais aussi des personnages historiques qui traversent l’album. L’occasion de retrouver Gustav Klimt, ce maître de l’Art nouveau qui peut être considéré comme le personnage principal de ces Trois Judith. A-t-il peint un troisième portrait de Judith? Un mystère artistique qui se révèle toujours sans réponse définitive apportée par les historiens. Présent dans l’ombre de notre Judith, comme pour la protéger grâce au tableau. Une histoire racontée dans le bonus offert.
Côté graphisme, Fabrice Meddour reproduit parfaitement le séisme dans ses planches, avec le chaos général et l’impression sonore de ces immeubles effondrés par centaines. L’impression ressentie est étonnante. Comme le racontait Caruso, présent ce jour-là, « ce tremblement de terre me fit l’impression d’un mezzo forte. »

San Francisco 1906. T1. Les trois Judith. Scénario de Damien Marie. Dessin de Fabrice Meddour. Editions Grand Angle, 64 pages – 15,90 euros https://www.angle.fr/bd/grand_angle/san_francisco_1906/san_francisco_1906_-_vol_01_sur_2/9782818980033
Couverture : éditions Grand Angle

Sur le front de l’Est avec le III.Panzerkorps

Par Philippe Degouy

Avec son histoire du III. Panzerkorps, L’élite des panzer à l’Est publiée aux éditions Caraktère, Sylvain Ferreira, historien et spécialiste de l’art de la guerre, revient sur une unité qui a servi exclusivement sur le front de l’Est jusqu’à la défaite et sa reddition à l’armée américaine le 8 mai 1945. Un III. Panzerkorps créé au printemps 1942 et qui a participé à toutes les campagnes majeures menées de 1942 à 1945 sous la direction de deux personnalités méconnues, elles aussi, du grand public : les généraux von Mackensen et Breith. Chacune des campagnes est racontée en détails avec des cartes bienvenues pour offrir une meilleure vue d’ensemble et permettre une compréhension optimale au lecteur.
Dans son récit, l’auteur rappelle aussi la présence de la Solution finale dans les campagnes menées. Comme en cet été 1942 où le III. Panzerkorps engagé dans le Caucase est suivi par les Einsatzgruppen chargés d’éliminer les Juifs soviétiques présents dans la région. Des massacres effectués à l’aide de camions modifiés pour gazer les malheureux. Des unités d’extermination qui n’auront pas à souffrir de problèmes de logistique, contrairement aux unités de combat du III. Panzerkorps.
Un ouvrage historique au déroulé chronologique idéal pour suivre au plus près les opérations militaires dans les vastes étendues de ce front, idéal pour les « lourds » de la Panzerwaffe. Certains propos tenus par l’auteur se reflètent dans l’actualité de la guerre menée en Ukraine par les Russes :  » les Soviétiques ne disposent pas de matériels aussi sophistiqués (que les Allemands) mais ils compensent par une supériorité numérique certaine et une bonne expérience. »
Un récit historique, très bien documenté, qui n’oublie pas de laisser la place à une iconographie aussi abondante qu’inédite. Entre clichés historiques et profils en couleurs, documentation idéale pour les « colleurs de plastique ». Avec des photos étonnantes à découvrir comme ce Panther Ausf G et son système de vision nocturne infrarouge « Sperber’. Ou cet insolite cliché d’un sidecar allemand BMW photographié devant deux chameaux montés par des soldats allemands dans le Caucase. Des camélidés que les Soviétiques utiliseront également jusqu’à la prise de Berlin.

Le III. Panzerkorps. 1942-1945. L’élite des Panzer à l’Est. Par Sylvain Ferreira. Editions Caraktère, 184 pages, 39,90 euros
https://caraktere.com/nos-livres/954-le-iii-panzerkorps-9782916403687.html
Couverture : éditions Caraktère